Enfance en danger, il est grand temps d’agir
En matière d’enfants ou d’adolescents victimes, il y a bien sûr les affaires fortement médiatisées. Comme celle du petit Emile, 2 ans et demi, mort au Vernet dans des conditions encore mystérieuses. Ou bien Shanon, cette jeune fille de 13 ans, apparemment violée et morte des suites d’importantes blessures à Rantigny dans l’Oise. Mais on parle hélas trop peu des dizaines de milliers de filles et de garçons victimes, dans ou hors du milieu familial, de violences sexuelles, physiques ou psychologiques. Ainsi, en 2023, les forces de l’ordre ont reçu pas moins de 84000 plaintes dénonçant de genre de faits. Chaque année, policiers et gendarmes constatent, en moyenne, plus d’une centaine d’infanticides dont la plus grande partie en milieu intrafamilial. Les violences au sein de la famille ne font, par ailleurs, que croître au fil des ans. Enfin, dans notre pays, toujours selon les chiffres officiels, 1 enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les 3 minutes.
Pourtant, malgré ces chiffres alarmants, « la France reste dans le déni ». C’est ce qu’affirmait récemment le juge Edouard Durant membre du CIIVISE. S’agissant selon lui d’un déni « massif, puissant et ancien », il appelait les pouvoirs publics à agir rapidement tant l’absence d’actions pertinentes étaient de nature à favoriser l’impunité des prédateurs d’enfants. Toujours selon le juge Durant, plus de 70% des plaintes déposées pour violences sexuelles sur mineurs sont classées sans suites et seulement 3% des pédo-criminels sont déclarés coupables devant un tribunal ou une Cour d’assises. Et cela, malgré les milliards d’euros investis par le contribuable français dans la protection de l’enfance !
Compétence obligatoire des départements depuis les lois de 1982-1983, la protection de l’enfance, en dépit des lourds investissements consentis par ces collectivités territoriales, 9 Mds d’euros en 2020, est aujourd’hui en panne dans notre pays. A ce jour, près de 340 000 mineurs et jeunes majeurs (moins de 21 ans) font l’objet d’une mesure d’aide sociale à l’enfance. Plus de la moitié (55%) concerne des mesures d’accueil à l’ASF, le reste consistant en des actions éducatives. A noter que les mesures d’accueil n’ont cessé de croître au cours de ces dernières années. En raison du fait, notamment, de la part croissante réservée à l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA). Ainsi entre 2021 et 2022, le nombre de MNA pris en charge par les départements a augmenté de 30,64%. La progression importante de l’accueil temporaire des jeunes majeurs – +26% en moyenne chaque année -, explique également l’augmentation significative du nombre de ces mesures.
De plus en plus couteuse mais de moins en moins efficace malgré des personnels dévoués et attentifs, il n’est un secret pour personne, et en particulier pour les professionnels du secteur, que la protection de l’enfance en France est en grave danger. Si la décentralisation présente des avantages incontestables liés à la connaissance des territoires, aux spécificités de ceux-ci et à la mise en œuvre de politiques publiques plus ciblées, elle souffre d’une grande disparité de moyens entre les départements. Et c’est justement cette disparité qui entache la cohésion et la cohérence des actions menées, à un moment ou cette politique d’action sociale fondamentale pour notre jeunesse aurait, plus que jamais, besoin de rigueur, de lisibilité et de constance.
C’est en particulier pour ces raisons que les éducateurs et personnels concernés ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. En 2022, par un mouvement de grève, ils avaient voulu attirer l’attention de leurs autorités de tutelle sur un certain nombre de problèmes récurrents. Ils dénonçaient ainsi, le manque chronique d’effectifs, ciblant les 64000 postes non pourvus dans le secteur, en particulier du fait des départs à la retraite. Ils condamnaient le fait que les centres sociaux et médico-sociaux en soient réduits à faire appel à des intérimaires ou à des personnes non qualifiées. Ils attiraient l’attention sur le nombre de dossiers s’accumulant, qu’il s’avère désormais impossible de traiter dans des délais raisonnables. Enfin, ils soulignaient le manque d’attractivité de la profession, notamment du fait des bas salaires, du manque de formation et de valorisation du métier. Face à ces graves manquements, le groupe du Rassemblement National à l’Assemblée, par la voix de Laure Lavalette, avait d’ailleurs demandé la constitution d’une commission d’enquête sur les défaillances de l’aide sociale à l’enfance. Cette demande n’avait malheureusement pas été suivie d’effets
Emmanuel Macron, à l’aube de son second mandat présidentiel, avait pourtant annoncé vouloir faire « de la protection de l’enfance une cause majeure de son quinquennat ». Promesse oubliée semble-t-il, puisque force est de constater que rien n’a encore été fait pour venir au secours de notre jeunesse en danger. Pourtant, devant l’ampleur de la tâche et l’urgence qu’il y a à réformer la protection de l’enfance, il semble en effet plus que jamais indispensable que l’Etat reprenne la main et se porte garant de cette politique importante pour notre pays. Pour sortir du « déni » dénoncé par le juge Durant, il est en effet nécessaire que la protection de la jeunesse devienne une grande cause nationale. Il convient qu’une réflexion puissante et constructive soit menée afin qu’une ligne politique à long terme soit envisagée et mise en œuvre. Si le pilotage départemental ne semble pas devoir être remis en question, il faut néanmoins que les disparités évoquées entre les départements soient compensées par l’Etat et que la politique publique suivie en la matière soit harmonisée et supervisée au niveau national. C’est ainsi et sans doute dans ce but qu’en mars 2022, « dénonçant un angle mort de la société » Marine Le Pen, à l’occasion d’une interview donnée au journal Femmes actuelles, a annoncé que lorsqu’elle parviendra au pouvoir, elle créera un ministère de la protection de l’enfance. Bien entendu, il sera nécessaire de répondre aux attentes des professionnels concernés. Le recrutement, la formation, la rémunération et la valorisation du métier devront faire l’objet d’un vaste plan de modernisation et d’adaptation à cette question fondamentale qu’est celle de la protection et de l’avenir de la jeunesse française.
Olivier DAMIEN
Conseiller régional de BFC