Il y a deux siècles jour pour jour s’éteignait le Français le plus éminent de tous les temps.

Le 5 mai 1821, « l’âme du monde à cheval » – telle que Hegel l’avait aperçue à Iéna – quittait les rives terrestres après une vie comme l’histoire humaine n’en a compté qu’une poignée. Pendant que notre pays ravagé par la haine de soi, les minorités activistes et un pouvoir aux abois continue de s’interroger sur la pertinence de célébrer la mémoire de Napoléon, le monde entier multiplie les articles, les livres, les reportages, les projets de film et de série qui lui sont dédiés.

Car on se tromperait lourdement en faisant de Bonaparte une obsession franco-française, comme la formuleraient ceux pour qui le nom de notre peuple est devenu péjoratif. Bien au contraire : l’épopée napoléonienne constitue l’un des rares objets de fascination universelle.

Transcendant les civilisations, sa figure devenue mythique a été connue et révérée aux confins de la Terre – dans la Chine confucéenne, l’Inde brahmaniste, l’Afrique animiste et jusqu’aux tribus isolées de l’Arctique. Les ventes aux enchères mondiales de certains de ses effets, si elles couvrent de honte notre politique du patrimoine, n’en révèlent pas moins la persistance de cette passion – aussi vivace chez nos voisins européens dont les monarques lui avaient pourtant fait la guerre

Pareil constat nous rappelle une évidence réaffirmée en son temps par le général de Gaulle : la France n’est jamais aussi utile à l’humanité que lorsqu’elle est pleinement elle-même. Forte, grande et fière. Elle ne parle jamais mieux au monde que lorsqu’elle se tient debout face à lui.

On sait dans quel contexte le général Bonaparte s’empara du pouvoir. Au milieu du désordre et face à l’impuissance du Directoire, régime décadent appuyé sur la bourgeoisie censitaire, la volonté d’un homme trouva le chemin qui le conduisit à la tête du peuple français. Par le suffrage universel, celui-ci lui offrit son approbation pour l’instauration du Consulat, puis le sacre impérial cinq ans plus tard, devant acter la stabilité retrouvée d’une France revenue de tourments inimaginables.

La suite est connue : la plus formidable épopée militaire de l’histoire de l’Europe. Une succession insensée de coups de génie et de victoires éclatantes ; Marengo et Austerlitz, Friedland et Wagram. Les ennemis de la France terrassés, puis tenus en respect. L’Empire des 130 départements et les jeunes États alliés qu’il créa aux frontières. Là où passait la Grande Armée, le servage aboli et les principes de 1789 – au premier rang desquels la souveraineté nationale – semés dans l’esprit des peuples. Et puis la Bérézina, Elbe et les Cent-Jours, et puis Waterloo, et puis Sainte-Hélène…

Mais la gloire des armes n’est pas tout. Le Premier Consul puis l’Empereur ont offert à la nation les « masses de granit » sur lesquelles elle s’est appuyée deux siècles durant : « un gouvernement régulier, un code de lois, des cours de justice, des écoles, une administration forte, active, intelligente » – ainsi que les décrivait son vieil adversaire Chateaubriand. Autant de permanences ayant permis à la France de vivre pendant 150 ans, au milieu de la valse des régimes et de l’incurie parlementaire, jusqu’à ce que la Vème République vienne offrir à cette souterraine « Constitution administrative » (Tocqueville) la capacité de direction politique qui lui avait manqué depuis 1870.

Son œuvre immense fut tournée vers la réconciliation des Français, accablés de divisions par une décennie de Révolution. Dans le choix des symboles comme par ses décisions, notamment l’établissement du Concordat qui mit un terme aux persécutions contre le catholicisme (« religion de l’immense majorité des Français »), Bonaparte s’est appliqué à traduire en actes sa fameuse formule de paix civile : « De Clovis au Comité de salut public, j’assume tout ».

En réalisant concrètement l’alliage improbable du cœur des idéaux révolutionnaires – dont l’égalité de tous les Français devant la Loi – avec les vertus d’autorité et de continuité sur lesquelles reposait l’Ancien Régime, il est parvenu à cette synthèse de l’âme nationale qu’il appelait de ses vœux.

Voilà pourquoi les déconstructeurs ont fait de Napoléon leur cible de prédilection. En lui convergent toutes les gloires de la France, tous ses visages et tout son être. On tente de l’abattre comme on s’acharnerait sur la clef de voûte d’une cathédrale : afin que l’édifice entier s’effondre.

Voilà aussi pourquoi chaque Français attaché à son pays – quelles que soient sa tradition politique, les réserves légitimes qu’il peut avoir envers son exercice du pouvoir ou la démesure de ses ambitions – a aujourd’hui le devoir de défendre la mémoire de l’Empereur.

Pour nous qui revendiquons hautement l’héritage napoléonien, cette démarche est naturelle. Quant aux plus réticents, nous leur adressons cette interrogation du républicain intouchable qu’était Victor Hugo : « Si vous n’admirez pas Napoléon, qui donc admirez-vous ? »